Stephen Bronfman
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
BILLET - « Auparavant, j’étais tout le temps indécis. Mais maintenant, je n’en suis plus aussi certain », disait le défunt humoriste britannique Tommy Cooper.
Allez savoir ce que penserait Cooper, par le temps qui court, de l’incroyable confusion qui règne autour du projet de garde partagée d’une équipe de baseball majeur entre Montréal et la région de Tampa.
Ce projet rempli de zones ombrageuses, qui était déjà compliqué au départ, est devenu un tel cafouillis que même ses promoteurs, les milliardaires Stephen Bronfman et Stuart Sternberg, se contredisent sur la place publique quant à la manière de le mener à terme. Et pas juste un peu.
Comment a-t-on pu en arriver là? Au cours des 12 derniers mois, 6 années de démarches cohérentes ont été jetées par la fenêtre au profit d’une idée dont les amateurs de baseball eux-mêmes ne comprennent même pas toutes les implications.
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En 2013, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain avait lancé le premier ballon-sonde en commandant à la firme Ernst & Young une étude (plutôt rose bonbon) annonçant qu’une majorité de Québécois étaient en faveur d’un retour du baseball majeur à Montréal.
Au printemps 2014, on s’est ensuite mis à présenter au stade olympique des matchs de la Ligue des pamplemousses mettant en vedette les Blue Jays de Toronto. Et ces rencontres ont connu (et connaissent encore) beaucoup de succès.
Stephen Bronfman a alors timidement commencé à sortir de l’ombre et à faire part de son intérêt pour acquérir un club. L’ex-maire Denis Coderre s’est mis à arborer une casquette des Expos et à faire du lobbying auprès du commissaire Rob Manfred. Puis, le commissaire lui-même s’est mis à appuyer publiquement une candidature de Montréal en vue d’une éventuelle expansion.
La dynamique semblait on ne peut plus favorable.
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Chaque fois qu’on le croisait dans un événement public, Stephen Bronfman répétait qu’il ne pouvait trop en dire publiquement pour ne pas froisser les dirigeants de la MLB et qu’il valait mieux prendre le temps de bien faire les choses en coulisses.
En même temps, il affirmait que « l’argent n’est pas un problème » et que son groupe n’attendait que le signal des ligues majeures pour mettre la main sur une concession, soit par la voie d’une expansion, soit suite à la relocalisation d’une équipe existante (lire les Rays de Tampa Bay).
À l’été 2018, Bronfman et ses associés ont poussé l’affaire jusqu’à organiser des consultations et des sondages. Ces démarches visaient à savoir quel genre de stade souhaitait les amateurs de baseball et quels genres de forfaits ils étaient enclins à se procurer pour assister aux matchs.
Bronfman et ses partenaires ont aussi confié à une firme américaine le mandat de dresser le portrait socio-économique de Montréal. Et en décembre 2018, ils en ont fièrement annoncé que si Montréal avait une équipe, la taille de son marché la situerait en milieu de peloton parmi les villes de la MLB. Ce qui, avouons-le, était très prometteur.
Durant tout ce temps, donc, on a fait croire aux amateurs que tout baignait dans l’huile.
Mais en 2019, c’est un chat à deux têtes qui est finalement sorti du sac.
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En février 2019, le quotidien La Presse a publié un article révélant que le scénario principal que Stephen Bronfman et ses associés avaient présenté aux gouvernements était celui d’une garde partagée des Rays entre Tampa et Montréal.
Cette histoire était tellement saugrenue que personne n’y a cru. Ni à Montréal ni dans la région de Tampa.
En juin dernier, Stuart Sternberg a cependant rappelé tout le monde à l’ordre. Durant une mégaconférence de presse à St. Petersburg, il a expliqué que le marché de la région de Tampa est incapable de soutenir une franchise de la MLB à temps plein et que la seule façon d’y maintenir une équipe serait de la partager avec Montréal.
Le lendemain, flanqué de Pierre Boivin, Bronfman s’est présenté devant la presse montréalaise pour répéter le même message.
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Depuis ce temps, c’est le plus total bordel! Parce que bien peu de gens comprennent le projet qu’on leur présente.
Bronfman et Sternberg font du lobbying intensif auprès des leaders d’opinion de leur communauté respective. Ils tentent tant bien que mal d’expliquer que leur concept de garde partagée nécessitera la construction de deux stades, un à Montréal et un autre dans la région de Tampa, et que le fait de partager une équipe entre deux villes aura pour effet d’assurer la pérennité du baseball majeur dans ces deux marchés.
Ils croient sincèrement que cette idée est viable. Et ils ont obtenu l’aval du baseball majeur pour la développer.
Mais spectaculairement, et c’est le plus drôle de l’histoire, cette idée reste tellement excentrique et aberrante que la plupart des amateurs refusent d’y croire!
Pour s’en convaincre, il suffit de lire les commentaires que les lecteurs rédigent à la suite des articles publiés au sujet de cette éventuelle garde partagée. Peu importe l’identité des médias (tant au Québec qu’en Floride), une imposante majorité ne semble pas comprendre vers quel port se dirige cette folle croisière.
Grosso modo, il y a trois camps :
- Il y a ceux qui trouvent cette idée ridicule et qui n’ont pas l’intention de s’intéresser à cette éventuelle équipe à deux têtes.
- Il y a ceux qui ont l’intention d’assister à des matchs coûte que coûte, même s’ils ne s’attendent pas nécessairement à développer de lien émotif avec une équipe nomade.
- Puis, il y a le groupe le plus important (et le plus amusant), composé de gens qui croient dur comme fer que la garde partagée des Rays n’est pas viable et qu’il s’agit en fait d’une ruse qui mènera rapidement au déménagement complet de l’équipe à Montréal.
Il y a donc des gens qui croient, dur comme fer, que quelqu’un construira un nouveau stade de 600 millions à Tampa et que, cinq ou sept ans plus tard, les Floridiens laisseront partir l’équipe comme si de rien n’était!
Tenons pour acquis, pour fins de discussion, que quelque 50 % de la population se fout totalement du baseball. Si le 50 % qui reste (donc la clientèle cible des promoteurs du projet) est divisé dans les trois catégories mentionnées ci-haut, n’est-il pas normal de conclure que d’importants problèmes pointent à l’horizon?
N’est-il pas raisonnable de conclure que tout n’est pas ficelé et qu’avant de songer à construire un stade, il y a une certaine crédibilité à établir?
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Tout cela nous mène à l’entrevue (publiée samedi) qu’a accordée Stephen Bronfman au confrère Réjean Tremblay, du Journal de Montréal. Pour ajouter à la confusion ambiante, quelques heures après leur publication, les propos de Bronfman ont été catégoriquement démentis par Sternberg dans le Tampa Bay Times.
Voilà qui est extrêmement étonnant de la part d’un futur partenaire d’affaires.
L’article du Journal de Montréal annonçait en grande pompe que Bronfman et ses associés québécois étaient sur le point de devenir actionnaires minoritaires des Rays et que les négociations étaient très avancées.
D’ici quelques mois, trois ou quatre sans doute, notre groupe de Montréal va devenir copropriétaire de l’équipe de Tampa avec Stuart Sternberg. (...) Les négociations sont très avancées
, soutenait Stephen Bronfman dans ce papier.
Le milliardaire montréalais, qui n’a toujours pas révélé comment il a l’intention de financer le stade dans lequel jouerait cette équipe bicéphale, aurait par ailleurs expliqué qu’il s’attend à voir ce stade terminé en 2024 et qu’on pourrait probablement entendre le premier play ball!
à ce moment.
Cette controverse, survenue dès le premier jour du camp d’entraînement, n’a certainement pas ravi Sternberg, qui déploie des efforts colossaux depuis des mois pour établir la crédibilité et la sincérité de son projet en Floride. Il soutient d’ailleurs, sur toutes les tribunes, que son organisation honorera le bail qui l’oblige à jouer au Tropicana Field jusqu’à la fin de la saison 2027.
Ce n’est pas vrai
, a sèchement répliqué Sternberg, quant à la possibilité d’accueillir des actionnaires québécois au sein de son entreprise au cours des prochains mois. Il a par ailleurs ajouté qu’il y a « zéro chance » que Bronfman et son groupe deviennent actionnaires des Rays avant que le stade montréalais soit en construction. On parle donc en termes d’années.
Par ailleurs, même si les propriétaires de la MLB ont invité MM. Bronfman et Sternberg à développer leur idée et à leur présenter les résultats de leurs travaux à la fin de l’année, ils ne l’ont pas encore endossée. Pourquoi Sternberg, dans ce cas, se mettrait-il à vendre des actions de son club?
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Monsieur Bronfman, qui était extrêmement précautionneux lorsqu’il a recommencé à s’intéresser au baseball, semble avoir baissé sa garde au cours des derniers mois.
En octobre dernier, il affirmait que le maire de St. Petersburg, Rick Kriseman, était sur le point de permettre à Sternberg de passer outre les clauses de son bail et à lui permettre de déployer le projet de garde partagée avec Montréal. Le maire a fait exactement le contraire.
La semaine dernière, M. Bronfman a aussi tenu des propos qui ont froissé les gens de St. Petersburg, en soutenant que les joueurs de baseball allaient éventuellement être ravis de pouvoir passer l’été dans une ville excitante comme Montréal plutôt que dans cette ville de Floride. Il a ensuite dû s’excuser par courriel.
Et le voilà qui semble mettre la charrue loin devant les boeufs et bousculer publiquement son futur associé.
À titre de membre du comité exécutif de la MLB, et de citoyen qui tente de raffermir des liens fragiles avec les leaders de la communauté de Tampa, Stuart Sternberg n’est certainement pas friand de ce genre de distractions.
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De l’extérieur, tout cela regarde bien mal.
Comme je l’ai expliqué dans une chronique récente, lorsqu’on se place dans les chaussures de Bronfman et Sternberg, cette idée de garde partagée est théoriquement géniale parce qu’elle cadre avec leurs intérêts financiers.
Avant de commander les plans de leurs deux stades, de conclure des ententes de droits de télé et de solliciter les élus de la Floride et du Québec pour les aider à aller au bout de leur folle idée, messieurs Bronfman et Sternberg auraient peut-être avantage à accorder leurs violons.
Ils auraient aussi, peut-être, avantage à comprendre qu’ils ne sont pas aussi avancés qu’ils le croient. Si le public ne la comprend pas ou n’y adhère pas, cette idée ne vaudra pas un clou.
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